Choisir sa carrière à l'ère de l'intelligence artificielle : les leçons précieuses de Socrate
#13 : l'esprit critique comme rempart au risque d'automatisation
Bonjour à tous 🥳 J’espère que vous allez bien !
Pour ma part, tout va bien, je vous écris dans le train de retour à Lorient, après un passage express à Paris. L’occasion de revoir des amis, d’intervenir dans des podcasts et de faire de belles rencontres !

Trêve de mondanités et place à l’édition du jour 👇
En 399 avant J.-C, Socrate est attaqué en justice puis exécuté.
Quel crime avait-t-il commis ?
👉 Celui de chercher à éveiller l'indépendance de la pensée et l’esprit critique chez ses concitoyens.
Ces aptitudes n'étaient pas valorisées dans l'éducation traditionnelle de l’époque, qui se contentait de transmettre des savoir-faire compartimentés dans des domaines bien précis.
Selon Socrate, l'ignorance est la source de l'injustice et le savoir doit être accessible à tous.
D’ailleurs, ce qui fait la sagesse de Socrate, c'est la conscience de son ignorance.
"Tout ce que je sais, c'est que je ne sais rien" - Socrate
Il se contente de poser des questions, pour pousser ses interlocuteurs à réaliser leur propre ignorance.
Mais son non-conformisme lui vaut des ennemis. Il est accusé de corrompre la jeunesse et de nier les dieux de la cité.
Pendant son procès, Socrate reste fidèle à ses principes et il est condamné à mort.
Sa philosophie, par contre, semble intemporelle.
2 000 ans plus tard, elle continue de nous aider à réfléchir, pour appréhender un monde de plus en plus complexe.
Les problèmes pointés par Socrate sont plus que jamais d’actualité
« Même les meilleures universités ne développent pas une intelligence critique. Ils ne donnent pas aux étudiants les outils nécessaires pour analyser le monde moderne, sauf dans leur domaine de spécialisation. Leur éducation est trop étroite.» - James Flynn
“Il faut se spécialiser”. On a tous entendu cette phrase lors de nos choix d’orientation.
Notre société, marquée par l’ère industrielle, récompense la spécialisation. Ceux qui savent précisément le métier qu’ils veulent faire sont valorisés pour s’orienter et trouver du travail.
Dans l’esprit collectif, les légendes du sport, de la musique, de la littérature sont celles qui ont le plus travaillé leur compétence spécifique, pour bonifier leur talent.
En réalité, cela dépend de la discipline en question.
Dans certains domaines, c’est bien la spécialisation et le volume de pratique délibérée qui déterminent l’excellence : par exemple les échecs ou le golf.
Ceux qui pratiquent intensément depuis très jeunes ont plus de chance de triompher adultes, car ils auront accumulé plus d’heures de pratique.
Mais ce constat n’est valide que dans les domaines où les règles et contraintes sont formellement définies.
Or, dans la plupart des domaines de la vie, ce n’est pas le cas : il y a des facteurs humains ou environnementaux à prendre en compte, qui créent de l’incertitude.
Dans un monde incertain et en mouvement, l’hyperspécialisation a des limites :
Elle pousse les gens à prendre des voies qui ne leur correspondent pas forcément.
Nos envies et aspirations évoluent bien plus que nous le pensons. Se spécialiser trop vite, c’est prendre le risque de s’engager dans une voie qui ne correspondra pas à son futur “soi”.
Trop de spécialisation limite le développement de notre esprit critique
Le “syndrôme de l’expert” en est la preuve : ceux qui se spécialisent dans un domaine, développent des « biais d’expertise ». Ils sont plus attentifs aux détails et à la perfection technique. Mais cela peut les empêcher d’avoir une vision globale et d'analyser la situation dans son ensemble.
La spécialisation freine l’innovation
« Le progrès scientifique sur un large front, résulte du libre jeu d’intellects libres, travaillant sur des sujets de leur choix, de la manière dictée par leur curiosité pour l’exploration de l’inconnu ». - Vannevar Bush, ancien doyen du MIT
À force de compartimenter les savoirs, nous perdons notre capacité à croiser les disciplines et à faire des liens entre des domaines divers : c’est pourtant le cœur de l’innovation.
Socrate avait raison : une trop grande spécification des savoirs, sans curiosité intellectuelle, ni recherche d’esprit critique, est préjudiciable pour les individus, comme pour la société.
Pourquoi les généralistes triomphent dans un monde de spécialistes
Il est temps de rompre le mythe : bon nombre des plus grands penseurs de tous les temps n’étaient pas des spécialistes.
Socrate était professeur de rhétorique, de métrique, de rythmique, et de grammaire. Il s’occupait aussi d’astronomie, de météorologie, de géologie, de géométrie, de problèmes physiques.
Leonardo De Vinci était peintre, artiste, organisateur de spectacles, scientifique, ingénieur, inventeur, anatomiste, sculpteur, peintre, architecte, urbaniste, botaniste, musicien, philosophe et écrivain.
Benjamin Franklin était lui imprimeur, éditeur, écrivain, naturaliste, inventeur et homme politique américain.
“Comparés à d’autres scientifiques, les lauréats du prix Nobel sont au moins 22 fois plus susceptibles de participer à des activités d’acteur amateur, danseur, magicien ou autre type d’artiste.” - David Epstein
Plutôt que de se concentrer de manière obsessionnelle sur un sujet restreint, les créateurs ont tendance à avoir des intérêts larges.
3 raisons principales expliquent le succès des généralistes :
Ils ont une meilleure connaissance d’eux-même.
La variété de leurs expériences leur permet de savoir quelle activité attise leur curiosité et correspond au mieux à leur force.
Ils saisissent mieux la complexité du monde.
Un monde incertain et en évolution rapide exige des compétences de raisonnement conceptuel, pour pouvoir relier de nouvelles idées et fonctionner dans différents contextes. C’est ce que peuvent faire les profils généralistes.
Ils ont plus de chance de s’adapter aux transformations technologiques, comme l’intelligence artificielle.
Plus un défi est contraint et répétitif ➡️ plus il exige une spécialisation étroite ➡️ plus il est susceptible d'être automatisé.
La capacité d’appliquer des connaissances à de nouvelles situations crée des solutions innovantes, que l’IA ne peut pas imaginer.
Un exemple pour finir
Le Shinkansen est un train japonais, précurseur du TGV. Au départ, ce train à grande vitesse générait une onde de choc et de fortes nuisances sonores lors de chaque tunnel, à cause de sa forme.
La meilleure réponse à ce problème est venue… de la nature !
Les ingénieurs se sont inspirés de la forme du bec des martins-pêcheurs (une espèce d'oiseaux pêchant à l’affût, sans faire d’éclaboussures), pour l’adapter au train et réduire toutes nuisances.
C’est un exemple de biomimétisme : cela consiste à s'inspirer de la biologie, pour réaliser des innovations techniques, organisationnelles, sociétales…
Cela démontre la puissance du cerveau humain pour croiser des domaines divers. Ce type d’analogie est une source extraordinaire d’innovation et de créativité.
L’Intelligence Artificielle en est totalement incapable.
L’intelligence humaine a donc encore de beaux jours devant elle. Profitons-en…
Conclusion
Le monde a besoin autant des généralistes que des spécialistes. Une forme de spécialisation est de toute façon indispensable, pour parvenir à la maîtrise d’un domaine particulier.
Cependant, nous devons sortir du mythe de l’hyperspécialisation à tout prix, qui peut être piégeuse individuellement et collectivement.
Que l’on soit généraliste ou spécialiste, voici quelques conseils universels que l’on peut tirer de la sagesse antique et des études récentes, pour choisir sa carrière :
Suivez vos curiosités intellectuelles
Creusez les sujets qui attisent votre curiosité, même si ceux-ci n’ont, a priori, pas de lien avec votre domaine d’expertise. C’est comme cela que vous ferez des liens originaux et que vous exprimerez votre créativité.
Développez votre esprit critique
Prendre de la hauteur, être ouvert à la contradiction et au dialogue sont des qualités intemporelles, que l’on doit absolument cultiver, pour progresser.
Examinez votre vie
Prenez le temps d’analyser vos ressentis, vos expériences, vos forces et vos aspirations pour ajuster vos choix.
Soyez ouvert au changement
Nous n’aimons pas le changement. Encore plus lorsque nous avons investi de l’énergie et du temps dans un domaine, nous refusons d’imaginer perdre cet investissement (“biais des coûts irrécupérables”).
Et pourtant, les connaissances que vous avez acquises auront potentiellement une valeur immense, dans un domaine complètement différent.
“Abordez votre voyage personnel et vos projets comme Michel-Ange s'est approché d'un bloc de marbre, prêt à apprendre et à s'adapter au fur et à mesure, et même à abandonner un objectif antérieur et à changer complètement de direction si le besoin s'en fait sentir. Même lorsque vous quittez un domaine de travail ou un domaine entier, cette expérience n’est pas gaspillée.” - David Epstein
Excellente semaine à tous ☀️
-Eliott
Quelques ressources qui ont nourri ma réflexion :
“Apologie de Socrate” - Platon
”Range : Le règne des généralistes: Pourquoi ils triomphent dans un monde de spécialistes” - David Epstein
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Je suis d'accord avec toi. C'est pour ça que je trouve que le principe de "transversalité" est essentiel. Se spécialiser, c'est parfois nécessaire (en fait peu importe, même quand tu ne souhaites pas te spécialiser et que tu explores, tu fais des choix) mais la transversalité aide à remettre cette spécialisation dans un écosystème et c'est génial. Car tu vas t'intéresser à différentes facettes d'un sujet et à tout ce à quoi il est connecté :)
Intéressant et instructif, merci Eliott