Comment reprendre le contrôle de son smartphone
#49 - Ou comment résister à la guerre de l'attention
Il y a quelques semaines, j’ai échangé avec une formatrice qui enseigne à des étudiants de 18-20 ans.
Elle m’a raconté une histoire assez édifiante :
“L'autre jour, je suis arrivée à 8h pour le début du cours. La lumière était encore éteinte et il n'y avait aucun bruit dans la salle. J'ai cru que j'étais la première arrivée.
Pourtant, en entrant, j'ai découvert que la plupart des étudiants était bel et bien là. Ils étaient juste chacun assis à leur table, silencieux, les yeux rivés sur leur smartphone.
C'était le retour aux cours après 2 semaines de vacances, je pensais qu'ils auraient des anecdotes à se partager. Pourtant, ils semblaient n'avoir rien à se raconter. Ça m'a fait bizarre."
On pourrait balayer ça d’un “Ah, les jeunes…”.
Mais ce serait trop simple.
Cette tendance à l’usage effréné du smartphone touche toutes les générations.
Je le vois autour de moi : jeunes ou moins jeunes, nous sommes nombreux à scroller sans fin. Même ma mère me dit qu’elle a du mal à “regarder la télé sans avoir le téléphone dans les mains” !
Ces anecdotes sont les signes d'un phénomène majeur de notre époque : l’hyperconnexion, nourrie par la guerre de l’attention.
La guerre de l'attention
La guerre de l’attention, c’est la lutte que se livrent les plateformes numériques pour capter notre attention, seconde après seconde.
C’est simple : notre attention = leur business model.
=> Plus les plateformes arrivent à capter notre attention et à augmenter notre temps d'écran, plus ils gagnent de l'argent (en nous exposant à la publicité).
Conséquence : l'attention humaine est devenue une denrée rare, précieuse et disputée.
Les GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft) ont donc sorti l'artillerie lourde : ils se sont entourés des meilleurs neuroscientifiques de la planète pour comprendre et exploiter les mécanismes de l'attention humaine.
Tous les moyens sont bons :
Notifications pensées pour générer du FOMO (la peur de rater quelque chose)
Algorithmes calibrés pour exploiter nos biais cognitifs
Contenus toujours plus courts, addictifs et polarisants
Et ça marche.
En 2025 :
Le temps d’écran moyen en France pour usage personnel atteint 4 heures par jour.
42% des français estiment y passer “trop de temps”
Ce chiffre grimpe à 61 % chez les 18-24 ans
Le smartphone est devenu une véritable extension de nous-mêmes.
Dans son TEDx, Dino Ambrosi, entrepreneur spécialiste de la relation au numérique, partage un visuel saisissant.
Il décompte les mois restants à vivre pour un jeune de 18 ans (sur une base de 90 ans de vie)
Résultat : en enlevant, le temps de sommeil, le temps de travail, le temps pour manger etc, il restera à ce jeune 334 mois de temps libre.
Et au vu des tendances actuelles, ce jeune passera 312 de ces 334 mois derrière un écran (soit 93% du temps libre restant).
C'est juste MONUMENTAL.
Mais alors, pourquoi est-ce problématique ?
Le désalignement d'intérêts entre plateformes et utilisateurs
Le problème, c'est la divergence d'intérêts entre les plateformes et les utilisateurs.
Si je schématise :
Ce dont nous avons besoin : être connectés à nous-mêmes, aux autres, à ce qui nous fait du bien.
Ce que veulent les plateformes : qu’on reste derrière l'écran au maximum (pour être exposés à la publicité). Et ce, peu importe les conséquences sur notre santé.
Reed Hastings, ex-CEO de Netflix, l’a d'ailleurs avoué de manière éhontée :
"Notre principal concurrent, ce n'est pas Disney +, ni Apple TV, ni HBO, mais c'est le sommeil'".
Les conséquences de cette tendance à l’hyperconnexion sont multiples :
Psychiques : mémoire altérée, difficulté à se concentrer, comparaison sociale constante sur les réseaux sociaux…
Physiques : troubles du sommeil, fatigue, sédentarité…
Relationnelles : isolement, appauvrissement des échanges…
Écologiques : pollution numérique…
En résumé : quand notre attention est sans cesse capturée, c’est notre qualité de vie qui se dégrade.
Notre expérience du monde dépend de notre attention. Pour que quelque chose ait une réalité, dans notre esprit, il faut qu'on y fasse attention. Donc, faire attention à quelque chose ou à quelqu'un, c'est un des actes les plus précieux qu'on a aujourd'hui.
La question qu'on doit se poser, c'est à quoi et à qui ai-je envie de donner mon attention ?
En fait, c'est la qualité de notre attention qui détermine :
la qualité de nos interactions (et de nos relations)
notre aptitude à l'émerveillement
notre capacité de concentration
l'intensité de nos expériences
Bref : toute notre expérience vécue dépend de notre attention.
Mais alors comment reprendre le contrôle ?
La posture de l'explorateur curieux pour reprendre le contrôle de son attention
Dans ce contexte saturé, nous avons un choix existentiel à faire :
Se laisser porter par les flux algorithmiques 100% du temps
Ou redevenir acteurs de notre attention, en explorant librement nos curiosités
Bien-sûr, aujourd'hui, les algorithmes déterminent déjà une part importante de notre vie quotidienne (divertissement, rencontres...). Mais je crois qu'il est fondamental que l'on garde un espace pour soi, un terrain d'exploration.
Pour ma part, tout a changé quand j'ai changé mon rapport à l'information.
J’essaie de passer d'un rapport de consommateur à un rapport d'explorateur de mes curiosités, que j’avais schématisé comme ceci dans une précédente newsletter :
Cette distinction, bien qu'imparfaite et schématique, m’a aidé à mieux orienter mon attention, non plus vers ce qui est juste là, mais vers ce qui m’attire vraiment.
Ça m'a permis de passer d'une attention 100% stimulée (rapide, non consciente, et involontaire) à une attention davantage dirigée (consciente, choisie et contrôlée).
C'est une manière de conserver une part de libre arbitre.
3 clés pour reprendre le contrôle de son smartphone.
À partir de mon expérience et de mon échange avec Thibaud Dumas, voici 3 clés qui peuvent aider à reprendre le contrôle de son smartphone :
Clé 1 - Prendre conscience
La 1ère clé, c'est de prendre conscience de son usage et de faire naître le désir de changement. Pour ce faire, Thibaud nous partager plusieurs conseils :
Mesurer son temps d'écran
Noter ses comportements et ressentis
Penser à tout ce que l'on pourrait gagner en changeant (temps pour soi, avec ses proches...)
Clé 2 - Modifier son environnement
La très grande majorité de nos actions quotidiennes sont réalisées en pilote automatique. Dans Atomic Habits, James Clear rappelle que notre environnement est le plus grand déclencheur de notre comportement.
Voilà pourquoi la 2ème clé consiste à modifier son environnement, par exemple :
en coupant les notifications,
en mettant son téléphone dans une autre pièce,
en bloquant certaines applications à certaines heures….
Clé 3 - S'offrir des alternatives de qualité
Dans mon quotidien, j'ai observé que plus je m'offrais des alternatives de qualité dans la vie réelle, moins j'avais besoin d'aller vers mon téléphone.
Par exemple :
Prévoir un dîner avec des amis
Tester de nouvelles activités en groupe
Faire des activité sportives ou créatives qui font du bien (les grecs appellent ça l'Otium)…
Conclusion.
Je crois qu'il faut avant tout être tolérant avec soi-même par rapport à son temps d'écran. On ne peut pas se battre seul contre des systèmes pensés pour capturer notre attention au maximum.
La guerre de l’attention est systémique.
Et nous n’avons pas été préparés à y faire face.
Mais ce n’est pas une raison pour baisser les bras.
En tant qu’individus, on garde une vraie marge de manœuvre.
On peut choisir de ralentir et de se créer des îlots de respiration dans ce trop-plein d’informations.
Reprendre le contrôle de son attention, c’est choisir ce qu’on fait entrer dans notre conscience. Et comme le disait Héraclite :
Transformer notre conscience individuelle, c’est enclencher le processus de transformation collective.
Dans un monde qui nous pousse à scroller sans fin, le simple fait d'être présent, de choisir, de discuter ou de s’émerveiller pour de vrai, c'est peut-être la plus belle manière de résister.
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-Eliott
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